10.9.14

À propos de Etty Hillesum (« Enciellement Édith Etty »)



À propos de la vidéographie « Enciellement Édith Etty »

REGARDS CROISÉS SUR ETTY HILLESUM *
Sous la direction de Cécilia Dutter

« Certains commentateurs ont parfois reproché à la jeune femme une forme de résignation. Sa résistance n’a certes pas été active au sens de lutte armée ou de combat souterrain contre l’ennemi (…). Pourtant, on ne peut parler de passivité. Sa résistance est bien active au cœur de l’individu. Elle n’agit pas en combattant, mais cette inaction conjoncturelle est en réalité une action spirituelle, au sens de tentative de rééquilibrage du monde pour retrouver la paix universelle. » CÉCILIA DUTTER


« Personnellement, j’oscille entre l’idée qu’il y a quelque chose d’inadmissible à louer la beauté de l’existence au sein même d’une entreprise d’anéantissement de la vie et l’idée qu’au contraire, Etty atteint là une vérité suprême à laquelle je n’ai pas accès. Ce qu’elle essaie de faire passer par le langage semble au-delà des mots. » DELPHINE HORVILLEUR

« Elle se rend compte que son discours est inaudible. À plusieurs reprises, elle souligne qu’il est plus simple d’atteindre ce détachement quand on n’a pas charge d’âme (pas d’enfant à nourrir, à la survie duquel s’occuper[i]). D’ailleurs, si les lettres qu’elles envoient du camp témoignent d’une vertigineuse hauteur de vue sur la période, il n’est pas sûr qu’elle se soit souvent risquée à tenir de tels propos aux déportés. Vis-à-vis de l’aide qu’elle peut leur apporter, elle dit simplement : ”Mon faire consiste à être là”. » CÉCILIA DUTTER

« Il est à noter que le nom de Dieu en hébreu, YHWH est une combinaison du verbe être au passé, présent et futur. Dieu a donc quelque chose à voir avec ”l’être à tous les temps”, comme si l’approche du divin tenait à la fois de la capacité à saisir le ”réalisé”, le ”en cours” et le ”à venir”. » DELPHINE HORVILLEUR


Etty « est bouleversante parce qu’elle nous parle d’une humanité en lutte et de notre soif d’absolu. Son journal se veut une esquisse de son œuvre à venir. Nous, lecteur, savons qu’il n’y en aura pas d’autre après. Mais en l’espèce, c’est l’esquisse, donc l’étude, qui se révèle être l’œuvre elle-même. Je vois ici un enseignement philosophique et théologique très fort : dans l’existence, ”la préparation à”, ”est”. La préparation à vivre, est la vie ; la préparation à la prière est la prière ; la préparation à l’action est l’action. Si dans la première partie du livre, Etty est dans l’attente d’une réalisation, à un moment donné, elle sait qu’elle est. Elle comprend qu’ ”elle est” au-delà de ”il y aura”. » DELPHINE HORVILLEUR


« Ainsi, pour tout être vivant, la mort est elle une réalité inéluctable. Donc la vie s’achèvera certainement tôt ou tard par la mort, comme acte final d’une pièce jouée sur la scène du théâtre de l’existence. C’est la sentence véridique irrévocable.
« Tout ce qui y vit est périssable et ne subsiste que la face de ton Seigneur, Seigneur de majesté et de munificence », Sourate 55, le Miséricordieux, verset 26 et 27. Cette annonce du Coran loue et glorifie la pérennité de la face divine en tant qu’absolu dont la trace de splendeur se reflète sur le support que lui tend tout visage humain, qu’il soit souriant, aimant, ou qu’il soit vociférant, haineux. Mais un visage enclin à l’impermanence et aux effets du temps.
Devant une telle affirmation si apodictique, si péremptoire, Etty Hillesum n’avait, mue par sa foi, qu’à consentir au décret humain. Il ne sagit pas pour elle d’une résignation morose ni d’une soumission maladive et déprimée, mais d’une acceptation sereine de la volonté divine. Cette manière d’agir relève d’un acte d’islam, aux sens étymologique et spirituel : c’est une remise de soi confiante et dans la paix à Dieu. C’est une pacification de l’âme. Finalement mourir, c’est retrouver l’être Premier avec calme et quiétude, s’y préparer sa vie durant fait atteindre à l’ataraxie au moment fatidique. » GHALEB BENCHEIKH


* « UN CŒUR UNIVERSEL, REGARDS CROISÉS SUR ETTY HILLESUM » de Cecilia Dutter, Éditions Salvator, 2013


[i] C’est nous qui précisons.